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Serge Klarsfeld
répond sur Europe 1
aux questions de
Dimitri Pavlenko

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Serge Klarsfeld, né 1935 à Bucarest en Roumanie, est un historien et un avocat français. Défenseur de la cause des déportés Juifs en France, avec son épouse Beate, il a mené une action militante pour la reconnaissance de la Shoah, de la responsabilité des hommes et des États dans sa mise en œuvre, ainsi que des droits des survivants et de leurs descendants.
En 1978, il a publié "Le Mémorial de la déportation des Juifs de France" rédigé à partir de la liste des déportés (76 000), classés par convois. Dans "Le Mémorial des enfants", il a essayé de retrouver la photo et l'identité de chacun de 11 000 enfants envoyés vers la mort. Ses travaux représentent l'une des recherches les plus abouties sur la Shoah en France.

Faded Poncer

L'entretien suivant concerne la Marche du 12 novembre 2023 organisée contre l'antisémitisme en France et la situation générale de l'antisémitisme dans le monde à la suite de la guerre provoquée par le Hamas.

Faded Poncer

–    Bonjour Serge Klarsfeld
–    Bonjour
–    Bienvenue sur Europe 1, vous êtes avocat, Président de l'association "Fils et Filles de Déportés Juifs de France". Votre vie symbolise le combat pour la mémoire de la déportation des Juifs par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. Un mois après l’attaque du Hamas en Israël, est-ce que vous comprenez cette tergiversation politique ?
–    Il n’y a pas tellement de tergiversation. Il y a un refus d’un parti politique de participer à cette marche. Et je dirai qu’en contre-point, il y a la venue d’un Parti qui autrefois était antisémite, qui ne l’est plus depuis un certain nombre d’années, qui rejoint les valeurs républicaines et qui heureusement sera présent ce dimanche. On se passera donc de l’extrême-gauche antisioniste et antisémite, et on accueillera le Rassemblement National qui est devenu un Parti fréquentable.
–    Le Rassemblement National, dites-vous Serge Klarsfeld, n’est pas antisémite. Ce n’est pas ce que l’on entend du côté du Parti socialiste qui parle de ‘nécessaire cordon républicain’ dimanche, ou bien du Parti Renaissance le Parti présidentiel…
–    Je ne partage pas ce point de vue. Marine Le Pen a déjà fait des pas importants. Elle a condamné la Rafle du Vel’ d’Hiv' ainsi que ses responsables Pétain, Laval, Bousquet… La loi Gayssot, je pense que le Rassemblement National l’accepte, c’est une protection pour les Juifs, le Rassemblement National l’acceptera, ainsi que le discours de Chirac. Il reste la rupture véritablement définitive et éclatante avec Jean-Marie Le Pen qui a été il y a environ 40 ans le porte-parole d’un négationnisme vigoureux et néfaste. Mais heureusement il y a eu une rupture entre le père et la fille, et pas seulement entre le père et la fille, mais entre le Parti du père et le Parti qu’a construit la fille. Ce dernier rassemble quand même des millions d’électeurs qui viennent de tous les Partis, sauf de Partis antisémites. Ce sont de braves gens et des citoyens comme les autres. Et donc, que le Rassemblement National soit présent montre que, au lieu d’aller vers les extrêmes, ce Parti se rapproche du Centre et des valeurs républicaines. On ne doit pas faire la fine bouche. Surtout, les Juifs ne doivent le faire dans une période où des masses humaines extrêmement importantes à travers le monde sont en train de proférer leur haine anti Juive.
–    Serge Klarsfeld, vous saluez la rupture de Marine Le Pen par rapport à son père Jean-Marie Le Pen. Mais vous demandez un pas de plus, d’officialiser sa différence en quelque sorte. À quoi pensez-vous ? 
–    Officialiser signifie avoir un discours dans lequel elle reconnaîtrait à la fois la loi Gayssot et le discours de Jacques Chirac. Il nous paraît aussi extrêmement important qu’elle ait aussi une rupture avec son père, bien qu’il en coûte à une fille de rompre de façon éclatante avec son père. C’est ce que nous attendons d’elle dans un proche avenir.
–    Mais vous pensez que c’est une erreur politique de la part de Renaissance, le Parti d’Emmanuel Macron, de vraiment insister pour ne pas être à proximité de Marine Le Pen sous prétexte qu’aux origines du Front National, il y avait des collaborationnistes, des antisémites notoires ?
–    Il est toujours difficile de répondre à une pareille question… Moi, j’ai tendance à faire confiance et à croire en la sincérité des gens quand ils affirment quelque chose, surtout quelque chose d’important. En tout cas je sais, et c’est une intime conviction, qu’un Parti d’extrême-droite est un Parti dont l’ADN est l’antisémitisme. Et ce n’est pas le cas du Rassemblement National. Certes, il peut y avoir des résidus, comme on peut aussi trouver des gens qui sont antisémites dans d’autres Partis. Mais c’est un nouveau Parti, ce n’est plus le Parti de Jean-Marie Le Pen. Nous, nous avons été l’objet d’attentats de l’extrême-droite, à la bombe, au colis piégé. Nous avons combattu cette extrême-droite en France, nous l’avons combattue en Allemagne… Mais nous essayons de voir l’intérêt général. L’intérêt général, c’est que les extrêmes se rapprochent des valeurs républicaines. En ce moment, nous constatons que la France Insoumise se détache de ces valeurs. Alors  que le Rassemblement National évolue en direction de ces valeurs, et nous nous en réjouissons. On voudrait aussi que la France Insoumise fasse partie du cortège, mais cela semble impossible tant qu’elle aura des ambitions électoralistes qui sont en contradiction avec une marche en commun avec tous les autres français. 
–    On dit, Serge Klarsfeld, et vous le dites aussi, qu’il y a peut-être chez Jean-Luc Mélenchon en arrière-pensée, celle de 'draguer' une clientèle politique, la clientèle musulmane, l’électorat musulman qui est sensible à la cause palestinienne, avec par moments, on le voit clairement, des saillies antisémites. Quel regard avez-vous sur ce que certains ont appelé depuis une vingtaine d’années ‘le nouvel antisémitisme’ qui n’est plus un antisémitisme d’extrême-droite, d’obédience nazie, mais plutôt empreint de cet islamisme que l’on voit de plus en plus se manifester en France ?
–    Les Juifs sont habitués à voir des ennemis différents, et des alliés différents. En 1918, les allemands libéraient les Juifs en Europe centrale des pogromes tsaristes. Vingt ans après, l’Armée Rouge devait combattre les allemands pour libérer Auschwitz. On brûlait les Juifs pour des questions religieuses sous l’Inquisition ; maintenant, les plus grands alliés des Juifs, c’est l’Eglise catholique. Les situations varient selon les époques, mais presque toujours quand il y a des tensions les Juifs se retrouvent face à des ennemis nouveaux. L’antisémitisme se renouvelle, comme une sorte de maladie. Et aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les actes antisémites en France qui sont redoutables, mais le fait qu’à travers le monde des masses humaines semblent coalisées non seulement contre l’Etat d’Israël, mais contre les Juifs dans leur ensemble. Il ne faut pas oublier qu’il y a seulement 15 millions de Juifs sur notre planète, et qu’il y a au moins plus d’un milliard de musulmans. Et dans les conflits, les masses humaines prennent parti pour le camp qui est le camp intimement profond et commun à tous, c’est-à-dire que les musulmans prennent position pour le Hamas et la population de Gaza. Et les Juifs prennent position pour l’Etat d’Israël.
–    Merci beaucoup, Serge Klarsfeld, d’avoir accepté de vous exprimer au micro d’Europe 1.

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