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  • Photo du rédacteurMichel Benhayim

Peut-on garder la foi après la Shoa?

Dernière mise à jour : 13 août


Un monde qui s'effondre
Un monde qui s'effondre

Deux façons d’aborder la Shoa


Il y a deux façons principales d’aborder la Shoa qui a anéanti le Judaïsme européen :


1) celle qui se caractérise par une pieuse soumission à ce qui s’est passé, en y voyant la Manifestation de la Volonté Divine,


2) et celle beaucoup plus fréquente qui consiste à s’interroger et à douter, et qui peut finalement conduire à une certaine forme de rébellion contre la notion même de ‘Providence bienfaisante’.


Cette rébellion atteint parfois une dimension extrême, et elle apparaît alors comme la variante juive de la théologie radicale contemporaine. De façon hyperbolique, elle s’exprime par l’affirmation selon laquelle D.IEU est mort, et la vie complètement absurde.


Mais en vérité, la question essentielle qui se pose est plutôt celle-ci : qui est celui qui est vraiment concerné par cette question dont la portée est immense ?


N’est-ce pas celui qui a réellement vécu la Shoa dans son corps et dans son âme ? Celui qui est réellement entré dans l’enfer des ghettos, des camps d’extermination et des fours crématoires, avec sa femme et ses enfants, sa famille et ses amis, avec tous les autres Juifs qui ont connu, souffert, enduré les pires tourments et qui périrent là-bas ?


Ou est-ce celui qui a lu des livres sur la Shoa, qui en a entendu parler, et qui a peut-être même cru dans son imagination identificatrice qu’il subissait une expérience similaire ?


La réponse de chacun d’eux ne peut en aucun cas être la même. Ceux qui furent là-bas peuvent répondre à partir de leur expérience personnelle qui est unique, incomparable et qui, dans toute l’histoire de l'humanité, relève d’une catégorie qui n’appartient à rien de ce qui nous soit connu.


Quelles que soient l’ampleur et la profondeur de ce que peuvent ressentir ceux qui n’étaient pas là-bas, en s’identifiant avec les souffrances des victimes, leur expérience ne ressemblera jamais qu’à une ombre lointaine par rapport aux événements vraiment vécus, une ombre aussi éloignée de la réalité de la Shoa que l’est la connaissance relativement confortable des théologiens radicaux de notre époque vis-à-vis de l’univers des camps de concentration et des fours crématoires. Leur réponse, fondée sur une expérience par procuration, sera aussi ténébreuse et irréelle que ce que fut l’expérience elle-même.


Il va sans dire que ce qui s’applique à la rébellion du théologien radical s’applique aussi à la pieuse soumission et à l’acceptation de la Shoa comme un acte de foi par ceux qui, eux non plus, n’étaient pas là-bas. Leur réponse est tout aussi déconnectée de la réalité que l’attitude de ceux qui se rebellent et abandonnent leur Emouna [Foi]. Ni les uns ni les autres ne parviennent à établir une véritable relation avec l’horreur indicible de la Shoa.


Ceux d’entre nous qui n’étaient pas là-bas doivent avant tout écouter les réponses de ceux qui s’y trouvaient, car elles seules sont authentiques. Beaucoup de ceux qui étaient là-bas ont perdu la Emouna. Je peux les comprendre. Ce qu’ils ont vécu était un enfer plus inhumain que celui de Dante. Je crois que D.IEU Lui-même comprend, et qu’Il ne leur tient pas rigueur d’avoir perdu toute confiance en Lui. Telle est ma Emouna en D.IEU.


Puis-je pour autant adopter leur attitude, me rebeller et rejeter ma Emouna ? Je n’étais pas moi-même là-bas. Je ne suis pas Job. Je ne suis que son frère.


Je ne peux pas rejeter ma Emouna, parce qu’il y a eu d’autres martyrs, par milliers et par dizaines de milliers, qui étaient là-bas et qui n’ont pas perdu leur Emouna : ils ont accepté ce qui leur arrivait avec une impressionnante soumission à la Volonté Divine. Moi, qui n’étais pas là-bas, je ne peux pas rejeter, car ce serait profaner le sacrifice des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui ont accepté leur sort tragique avec une Emouna prodigieuse. Comment oser refuser, s’ils ont accepté ?


Je ne peux pas non plus accepter. Moi qui n’étais pas là-bas, parce que je n’étais pas là-bas, je n’ose pas accepter, je n’ose pas me soumettre, parce que mes frères, par dizaines de milliers, qui ont vécu cet enfer, se sont rebellés et ont rejeté. Comment oserais-je, moi qui n’étais pas là-bas, accepter leur souffrance inhumaine et m’y soumettre avec une foi aveugle !


Je suis stupéfait et profondément impressionné quand je pense au souvenir des Kedochim [des saints] qui sont entrés dans les chambres à gaz, avec sur leurs lèvres la profession de foi ‘Ani Maamine’, [je crois en Lui] ! Comment oserais-je poser une question, s’ils n’ont pas posé de questions ? Je crois, parce qu’eux-mêmes ont cru.


Je suis aussi stupéfait et profondément impressionné quand je pense aux Kedochim et au souvenir des souffrances indicibles de ces êtres humains innocents qui se dirigeaient vers les chambres à gaz sans aucune Emouna, parce que ce qui leur était imposé était infiniment plus douloureux que tout ce qu’un être humain peut endurer. Ils ne pouvaient pas croire plus longtemps, et maintenant je ne sais plus comment croire. Je comprends aussi très bien qu’ils n’avaient plus la Emouna.


En fait, il me semble que l’on peut mieux comprendre la perte de la Emouna dans les camps de concentration que le fait qu’elle ait pu être préservée et affirmée. Dans de telles circonstances, l’affirmation de la Emouna était surhumaine ; et la perte de la Emouna, elle, était humaine. Et comme je ne suis qu’un être humain, ce qui est humain est plus proche de moi que ce qui est surhumain. La Emouna est Sainte, mais l’absence de Emouna et le rejet de la religion dans les camps de concentration le sont tout autant. L’absence de la Emouna ne se situait pas au niveau de l’intellect : c’était une Emouna écrasée, broyée, réduite en cendre. Et une Emouna qui est assassinée un million de fois est un manque de Emouna qui se caractérise par une Sainteté certaine.


Ceux qui n’étaient pas là-bas et qui, pourtant, sont prêts à accepter aisément la Shoa comme étant la manifestation de la Volonté Divine qu’il n’est pas permis de remettre en question, profanent la sainte incrédulité de ceux dont la Emouna a été assassinée. Et ceux qui n’étaient pas là-bas, mais qui pourtant rejoignent sans hésiter le rang des incrédules, profanent la Emouna sacrée de ceux qui croyaient.


On pourrait peut-être aller encore plus loin et dire que celui qui n’était pas là-bas et qui montre sa piété en se soumettant facilement, non à sa propre destruction, mais à celle de six millions de ses frères, insulte par cette prétendue foi la Emouna que l’on pouvait trouver dans les camps de concentration. Les Kedochim, qui affirmaient leur Emouna dans le D.IEU d’Israël malgré le destin tragique qui était le leur, pourraient bien dire à un tel croyant enthousiaste : ‘Qu’est-ce que tu sais de la Emouna, de ce qui s’appelle ‘avoir la Emouna’ ? Comment oses-tu parler d’une souffrance que tu n’as pas connue ? Calme-toi et garde le silence !’


Mais il y a aussi tous ceux qui n’étaient pas là-bas, et qui pourtant n’hésitent pas à proclamer partout qu’ils ne croient pas au D.IEU d’Israël : ceux-là insultent l’absence sainte de Emouna qu’il y avait dans les camps de concentration. Ceux qui là-bas ont perdu leur Emouna pourraient bien se tourner vers ces théologiens radicaux et leur dire : ‘Comment osez-vous parler de la perte de la Emouna, savez-vous seulement ce que c’est que perdre la Emouna, vous qui n’avez jamais connu ce que nous avons connu, qui n’avez jamais subi toutes les horreurs que nous avons subies ?’


Face à la sainte Emouna de ceux qui entraient dans les crématoires, la foi sur commande de ceux qui n’y sont pas entrés n’est qu’une vulgaire indécence. Et l’absence de Emouna de soi-disant intellectuels pétris de leurs certitudes au sein d’une société d’abondance – face à la perte sainte de repères de ceux qui entraient dans les fours crématoires – n’est qu’une obscénité.


Nous ne sommes pas Job et nous ne nous permettrons pas de parler ou de répondre comme si nous avions été là-bas. Nous ne sommes que le frère de Job. Nous devons croire, parce que notre frère Job a cru ; et nous devons aussi poser des questions, parce que notre frère Job s’est trouvé si souvent dans l’incapacité de croire plus longtemps. Ce n’est certainement pas une situation confortable, mais c’est celle qui est la nôtre après la Shoa. Cette situation est la seule dans laquelle nous sommes, au seuil d’une réponse qui puisse être adaptée à la Shoa, s’il en existe une. C’est seulement à partir de ce seuil que l’on pourra entrer et avancer. Il faut le faire sans profaner la sainte Emouna ni la sainte perte de la Emouna du Peuple juif dans l’enfer qui s’est abattu en Europe. Et si l’on ne peut avancer, l’honnêteté exige que l’on reste sur le seuil. S’il n'y a pas de réponse, mieux vaut vivre sans elle que de trouver la paix dans le simulacre d’une pseudo foi qui est insensible au malheur, ou dans le simulacre d’une foi entretenue par des gens qui mangent à leur faim à la table d’une société d’abondance.


Auteur: Eliezer Berkovits


Traduit et adapté de l'anglais par Michel Benhayim



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