Michel Benhayim
Le mal et le bien

La notion de mal est en partie subjective : on ressent que l’on a mal, que ce soit pour des raisons personnelles ou pour tout autre motif. Cette sensation, parfois vague et insaisissable parfois aigüe et douloureuse, émane de la nature humaine.
Quelle est cette nature ? La réponse est que chaque être humain veut profiter de la vie, c’est-à-dire : avoir un minimum de problèmes et un maximum de plaisirs. Telle personne aime l’argent, telle autre les honneurs, les voyages… la liste des possibilités de plaisirs n’en finit pas... De ce point de vue, il n’y a aucune différence entre nous, que l’on soit grand ou petit, homme, femme… et les animaux ainsi que les végétaux : chacun veut, selon ses capacités, profiter de la vie. La nature fondamentale de l'être humain, c’est la volonté de recevoir et de jouir de plaisirs.
Cette force psychique est ce qui nous pousse à agir et qui nous permet d’avancer dans la vie : grâce à elle, on se marie et l’on a des enfants. Certains entreprennent de longues études dans l’espoir de recevoir plus tard une bonne rémunération… Tout cela est positif, dans la mesure ou sans ces désirs, aucun progrès ne serait possible.
Mais à l’inverse, cette force peut aussi devenir destructrice. Parce que si elle domine nos modes de pensée et de comportement, et si nous ne savons pas l’arrêter, elle peut nous entraîner à commettre des excès qui finiront par être nuisibles. Par exemple, le plaisir de manger ou de boire peut se transformer en addiction destructrice si l’on n’a pas la volonté de se retenir et de se fixer des limites : on constate que des maladies, plus ou moins graves, peuvent survenir et qu’elles peuvent entraîner la mort.
Les problèmes et les malheurs qui surviennent dans la vie sont souvent consécutifs à un recours excessif à la volonté de recevoir des plaisirs. Presque toutes les maladies, à l’exception de celles qui sont d’origine génétique, résultent d’un certain déséquilibre apparu dans notre vie. L’être humain s’épuise dans une course sans fin à vouloir atteindre toutes sortes d’objectifs qui restent hors de sa portée ; il n’est donc pas étonnant que des dysfonctionnements physiques ou psychiques apparaissent. Par exemple, sur la route, on ne sait pas qui provoquera un accident, parce que chacun est pressé, dans l’espoir de réaliser quelque chose d’important et nécessaire. Pourquoi les accidents de la circulation sont-ils si nombreux ? Parce que chacun est pressé de se rendre là où il aura quelque plaisir à prendre.
La plupart des problèmes vient de ce que l’homme ne vit qu’en fonction de cette motivation. Celle-ci peut devenir une obsession inconsciente et sans limites dans le cas fréquent où l’être humain se révèle incapable de maîtriser sa volonté.
Et pourtant, c’est bien le Créateur Qui est à l’origine de cette réalité. Il faut donc s’interroger : pourquoi a-t-Il créé cette volonté insatiable de recevoir des plaisirs ?
La réponse est qu’Il a voulu prodiguer du Bien à l’être humain. En effet, pour ressentir un plaisir, il faut que nous en ayons la volonté. Celui qui est invité à un festin, mais qui n’éprouve aucun appétit, ne pourra pas profiter de ce repas.
Nos Sages ont défini le Créateur comme étant ‘le Bien et Celui Qui fait le Bien’. Si l’homme aspire à se rapprocher de Celui Qui l’a créé, il doit s’efforcer, dans la mesure de ses capacités limitées, d’imiter Ses Qualités : comme Il est ‘le Bien et Celui Qui fait le Bien’, il y a dans Son Essence la volonté de donner, et non celle de prendre. D’ailleurs, que pourrait-Il recevoir, et qui pourrait lui donner quoi que ce soit ? Alors que toute la réalité émane de Lui et qu’Il en est en quelque sorte le ‘Propriétaire’. Chaque jour, à chaque instant, Il renouvelle la Création du le Monde, qui subsiste grâce à Sa Volonté.
L’essence profonde du Judaïsme est que l’être humain s’efforce d’être bon, à l’Image de son Créateur.
Tant que nous n’aurons pas acquis cette qualité qui consiste à prodiguer le bien, nous ne pourrons pas profiter d'une vie normale, d'une vie équilibrée, si nous agissons avec la seule volonté de recevoir qui confine à un égoïsme outrancier.
Le genre humain n’est pas entièrement mauvais. Autour de nous, il y a parfois des personnes qui font le bien, mais ce qu’elles font n’est qu’un bien relatif. Si chacun définit ce qui est bien, cela signifie que celui-ci est fonction de la volonté de recevoir propre à chacun. Quand telle action nous convient, c’est bien ; et quand telle autre ne nous convient pas, c’est mal. Cette façon subjective de définir ce qui est bien, et ce qui ne l’est pas, n’est pas suffisante.
Si nous laissons aux autres, par exemple aux représentants élus de la nation, la responsabilité de définir ce qu’est le bien et ce qu’est le mal, pouvons-nous être certains que nos enfants vivront dans un monde meilleur ? Nous voyons bien que certains définissent le bien selon leurs critères personnels avec lesquels nous ne sommes pas d’accord. Nous voyons aussi qu’il y a beaucoup de violence dans la société. Ceux qui sont à l’origine de ces violences sont souvent incapables de comprendre que ce qu’ils font est mal, et ils se justifient d’une manière ou d’une autre. Chacun pense avoir de bons arguments pour justifier son comportement déviant: il l'expliquera par une enfance dans une famille brisée, un traumatisme dont il n’a pas pu se relever etc.
On voit aussi que l’État promulgue des lois, qui ne sont pas toujours, loin s’en faut, inspirées par des motifs moraux. Leurs motifs résultent souvent de manœuvres politiques, d’intrigues partisanes sur le modèle du ‘donnant donnant’… Il s’ensuit que ce qui est aujourd’hui moral peut devenir demain immoral, ou l’inverse. Il n’y a plus de critères stables : tout est confus et fluctuant.
À l’inverse, le Créateur est Constant et Sa Volonté est Absolue. Personne ne peut Lui imposer quoi que ce soit. Il est la Source de l’Amour, d’un Amour désintéressé et inconditionnel. Il nous prodigue tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, c’est pourquoi Il est défini comme étant ‘le Bien et Celui Qui fait le Bien’. Sa Volonté est que l’on fonde notre comportement dans la vie sur des valeurs qui émanent du Bien absolu, selon ce qu’Il a décidé, et non selon notre intérêt variable en fonction des circonstances.
Ces valeurs, Il les a données : c’est toute la Tora.
Extrait d'un commentaire du Rav Gottlieb