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  • Photo du rédacteurMichel Benhayim

Quelle Emouna après la Shoah?

Dernière mise à jour : 13 août


La Dissimulation de la Face




Vers la fin de la Tora (Devarim ‘Deutéronome’ 31, 1-30), il y a un passage qui annonce une réalité complètement différente de ce qui est écrit précédemment.

Celui que l’on appelle ‘le SAINT, loué soit-Il’ nous met en garde : un jour viendra où vous aurez l’impression que J’ai disparu. C’est précisément à ce moment-là que vous apprendrez comment vivre en Ma Présence alors que, pour ainsi dire, Je dissimulerai Ma Face.

Dans les entretiens sur le sujet de la Emouna après la Shoa, on entend souvent l’affirmation selon laquelle la Shoa est un événement qui témoigne de la Dissimulation de la Face du Créateur. Autrement dit : c’est parce qu’Il a dissimulé Sa Face que toutes les atrocités qui ont eu lieu durant cette période ont pu se produire. L’argument religieux de la ‘Dissimulation de la Face’ est légitime dans le cadre de la pensée religieuse, et il est possible de trouver son origine dans la Tora elle-même.

Cette approche permet d’apporter une réponse apparemment compréhensible à ce qui par nature reste incompréhensible.

À la fin du passage évoqué ci-dessus, nous pouvons lire ce qui suit :

‘… Je leur dissimulerai Ma Face, et ils seront massacrés ; de nombreux malheurs et de grandes souffrances les atteindront… (Devarim 31, 17). Et un peu plus loin, il est écrit : ‘J’ai dit : Je leur dissimulerai Ma Face : Je verrai ce qui leur adviendra…’ (Devarim 32, 20).

La Tora elle-même utilise donc l’image de la ‘Dissimulation de la Face’ pour décrire ce qui sera une réalité épouvantable de malheurs et d’angoisses.

En quoi cette atroce réalité est-elle différente de la narration des malédictions de la Tora qui apparaissent auparavant, dans les passages où sont également mentionnés des malheurs épouvantables qui s’abattront sur le Peuple d’Israël ?

La réponse à cette question se trouve déjà dans la formulation du verset, qui dit qu’à la suite de la Dissimulation de la Face : ‘… un grand nombre de malheurs et d’angoisses les atteindra ». Cela veut dire qu’il ne s’agit pas d’une punition dont la finalité serait positive, mais en réalité d’abandonner Israël aux tourments et aux calamités de l’histoire.

L’utilisation de l’expression ‘Dissimulation de la Face’ à propos de la Shoa semble exprimer le sentiment que ce qui caractérise le plus cette immense catastrophe est qu’elle s’est produite de façon brutale et inattendue, comme si le Peuple ne bénéficiait plus de la Protection Divine, comme s’il était entièrement livré à l’implacable cruauté de ses ennemis.

Peut-être convient-il de préciser davantage : plus la catastrophe est difficile à concevoir en termes de faute et de punition ─ alors que les prières des victimes ne semblent guère être entendues, et que la catastrophe n’est accompagnée d’aucun Message Divin transmis par les prophètes ou par ceux qui dirigent le Peuple sur les raisons qui en seraient la cause ─ et plus le sentiment de Dissimulation augmente.

Cette différence entre la réalité de la Dissimulation de la Face et les autres châtiments mentionnés dans la Tora est très problématique du point de vie de la Emouna (Foi).

Précisons le problème. L’ensemble de la Tora repose sur le principe de l’Alliance selon laquelle la relation entre Israël et le Créateur est fondée sur des obligations réciproques : d’une part, l’engagement du Peuple à observer les Mitsvot ‘Commandements’, et celui par lequel le Créateur accordera une récompense ; et d’autre part, l’imposition de châtiments au cas où cette Alliance ne serait pas respectée.

La Emouna est fondée sur la conviction que la survie du Peuple juif dans l’histoire échappe à toute évolution naturelle, et qu’elle est la conséquence de son respect de l’Alliance avec le Créateur, ou ─ soyons-en préservés ─ de sa violation.

C’est là que se trouve le fondement des bénédictions et des malédictions dans les Livres de VaYikra ‘Lévitique’ et Devarim ‘Deutéronome’. C’est pourquoi des événements d’une extrême gravité, tels que l’exil et les horribles supplices qui l’ont accompagné, sont décrits dans la Tora comme des châtiments infligés à cause des fautes commises par Israël.

Que signifie donc la notion nouvelle de ‘Dissimulation de la Face’ dans le cadre de cette conception ? S’agit-il seulement d’une ‘variante’ supplémentaire du Châtiment Divin ? Et si c’est un élément de même nature, pourquoi la Tora emploie-t-elle une expression aussi gravissime et effrayante que ‘Dissimulation de la Face’ ?

Pour répondre à cette question, examinons à quel endroit précis dans la Tora apparaît cette expression ‘Dissimulation de la Face’.

La première fois où cette prophétie est mentionnée apparaît vers la fin du Livre de Devarim, lors de la dernière Révélation du Créateur à Moshé ‘Moïse’.

Rappelons comment les événements se sont déroulés : après que Moshé ait terminé son discours, et après que Yehochou’a ‘Josué’ ait reçu l’ordre de le remplacer, il est dit : « Moshé écrivit la Tora et il la remit aux Cohanim ‘Prêtres’, fils de Levi, qui portaient l’Arche de l’Alliance, et à tous les Anciens d’Israël » (Devarim 31, 9). Immédiatement après, le Créateur appelle Moshé et Yehochou’a et Il leur demande d’entrer dans la Tente d’Assignation. Là, Il évoque la ‘Dissimulation de la Face’, et Il leur transmet le Cantique situé dans la Paracha suivante : ‘Haazinou’.

La Tora revient ensuite sur ce qui a été précédemment écrit : ‘Lorsque Moshé eut achevé d’écrire les Paroles de la Tora sur un Livre, jusqu’à la fin, il ordonna aux lévites qui portaient l’Arche de l’Alliance, ce qui suit : ‘Prenez ce Livre de la Tora, et placez-le à côté de l’Arche d’Alliance ; il restera là comme un Témoin contre vous’’ (Devarim 31, 24-27).

Précédemment, au verset 9, nous avons déjà appris que Moshé avait terminé la Tora et qu’il l’avait donnée aux Cohanim, fils de Levi. Que signifie donc ce qui est dit ici : qu’il a à nouveau terminé d’écrire la Tora et qu’il l’a donnée ?

Selon Rambane ‘Naḥmanide’ et plusieurs commentateurs, il semblerait que ce passage se soit déroulé en deux phases : la première eut lieu avant le Cantique. Puis, le Créateur appela Moshé et Yehochou’a pour leur transmettre l’enseignement de la ‘Dissimulation de la Face’ et le Cantique. Ensuite, Moshé enseigna le Cantique au Peuple, et il l’ajouta à la Tora qui avait déjà été écrite, de sorte qu’elle fut ainsi complètement terminée.

Sur le plan de l’explication littérale, cette proposition semble convaincante.

Mais si l’on cherche à approfondir, il est difficile de comprendre la raison pour laquelle l’écriture de la Tora s’est déroulée en deux phases.

Si la prophétie concernant la Dissimulation de la Face et celle du Cantique devaient par la suite faire partie intégrante de la Tora, pourquoi le Créateur a-t-Il attendu que Moshé l’écrive, et qu’ensuite seulement Il lui enseigne ces Paroles lors de la Révélation relative au Cantique ? Pourquoi la Révélation liée au Cantique ne faisait-elle pas, dès le début, partie de la Tora ?

Il semble que cette Révélation ne pouvait pas tout de suite faire partie de la Tora, parce qu’en vérité elle ne correspondait absolument pas aux principes fondamentaux qui avaient été mentionnés jusqu’à présent, à savoir : ceux de l’Alliance, de la récompense et du châtiment, selon lesquels tout ce qui se déroule dans l’histoire du Peuple juif s’inscrit dans le cadre d’une Providence Divine et Manifeste qui est liée au niveau d’observance religieuse du Peuple.

La dernière Révélation qui, d’une part se situe hors de la Tora, et qui d’autre part en fait partie, n’est pas un supplément apporté à la Tora qui a déjà été écrite, mais elle est un nouveau Degré qui constitue une autre perspective de la Emouna complètement différente.

Dans la Tora de Moshé, tout est clair et net : le bien et le mal, la vie et la mort, la récompense et le châtiment, la bénédiction et la malédiction. Dans la vision limpide de Moshé, il n’y a ni flou ni ambiguïté, il n’y a pas de place pour une compréhension qui serait partielle.

Mais parfois, la dimension religieuse comprend aussi des aspects divers et plus nuancés de la relation avec le Créateur, des aspects intermédiaires, ténus et complexes dans lesquels il n’existe pas toujours une relation de cause à effet qui se manifeste de façon claire.

Dans les paroles de nos Sages de mémoire bénie, nous trouvons l’étonnant Midrach suivant à propos de la Dissimulation de la Face :

Ce jour-là, Ma Colère s’enflammera contre eux ; Je les abandonnerai et Je leur dissimulerai Ma Face…’ (Devarim 31, 17). Rabbi Bardella, fils de Tavioumi, a rapporté : Rav a dit : ‘Celui qui n’est pas dans [un état de] Dissimulation de la Face ne fait pas partie d’eux’ (Haguigua 5a).

Rav établit donc une règle selon laquelle il faut vérifier l’appartenance au Judaïsme de celui qui, dans le cadre de sa vie religieuse, n’éprouve pas un sentiment de Dissimulation de la Face : car peut-être ne fait-il pas partie d’eux (de ceux qui appartiennent au Peuple juif) !

Comment comprendre ce Midrach surprenant ? Il semble que nos Sages, de mémoire bénie, veulent dire que la catégorie religieuse dominée par le sentiment de Dissimulation de la Face représente le fondement de l’existence religieuse juive, et que celle-ci est beaucoup plus profonde que celle qui repose sur la récompense et le châtiment.

Un Juif, affirment nos Sages, doit savoir tirer des enseignements de l’expérience de sa vie et accepter de reconnaître en son for intérieur que son existence devant le Créateur ne se situe pas face à une apparence physique ou à une Présence qui se manifeste d’une manière ou d’une autre, mais à une ‘Présence dissimulée’. L’origine de cette conception se trouve dans les paroles de nos Sages et de leur discussion dans la Guemara :

‘Et moi, Je cacherai Ma Face en ce jour… » (Devarim 31, 18). Rava a dit : ‘Bien que Je leur aie dissimulé Ma Face, ‘en songe, Je leur parlerai’ (BeMidbar 12, 6) ». Rabbi Yossef a dit : « Sa Main est étendue sur nous [pour nous protéger], comme il est écrit : ‘… et de l’ombre de Ma Main, Je Te couvre’ (Yecha’yahou 51, 16) ».

Les deux Maîtres de la Guemara révèlent comment le Créateur maintient un lien avec Son Peuple Israël, tout en dissimulant Sa Face. Rava évoque la dimension subjective de la Présence : la Révélation à l’intérieur de la Nechama, qui se réalise au cours d’un songe. Rav Yossef, lui, évoque la Protection ou la Proximité Divine, qui n’est pas symbolisée par la Lumière mais par l’ombre.

Autrement dit : bien que la Lumière Divine n’illumine pas toujours la réalité vécue par un Juif, le Créateur lui accorde Sa Protection et Il l’accompagne par ‘l’ombre de Sa Main’.

Le défi religieux et existentiel auquel tout Juif est confronté est donc d’établir un lien avec le Créateur dans le cadre de la Dissimulation de Sa Face.

Dans la dernière Révélation de la Tora, il y a une nouvelle définition de ce que doit être la Présence Divine pour l’homme. Lorsque le Créateur informe Yehochou’a qu’un jour viendra où à cause des fautes des Enfants d’Israël Sa Face Se dissimulera, il s’ensuit qu’Il brise les principes qu’Il avait Lui-même fixés.

Mais il est possible que soient posées ici les fondations profondes de la Emouna, dont nos Sages ont dit que celui qui ne sait pas que c’est dans la Dissimulation de la Face que réside la relation authentique avec le Créateur, mérite que soit vérifié le fait de savoir s’il est vraiment Juif.

De manière générale, l’homme a besoin du Créateur, pour être béni de différentes manières. Souvent, la religion existe pour répondre à un besoin humain à l’égard duquel la Présence Divine remplit une fonction centrale.

Le Créateur nous prévient à la fin de la Tora : un temps viendra où Je serai Absent. C’est précisément à ce moment que vous apprendrez comment il faudra vivre avec Moi, bien que Je dissimule Ma Face.

Autrement dit : comment vivre avec Celui Qui ne remplit aucune fonction dans la vie réelle, Qui ne fournit aucune contrepartie ?

Mais Qui, en même temps, est la Vérité, car Sa Tora est Vérité, et vers Lui se tourne toute espérance humaine.

Dans la Dissimulation de la Face, il est possible de découvrir que l’on peut avoir une véritable Emouna et servir le Créateur sans attendre la moindre récompense en retour.

Le sens profond de ce qui est ainsi découvert est que l’on peut être lié au Créateur, bien que ce lien ne se concrétise pas au cours des événements de l’histoire.

On découvre alors une approche complètement nouvelle de la Emouna juive, qui transforme chaque situation personnelle ou collective de Dissimulation de la Face pouvant être vécue comme une remise en question, par un défi à affronter.


Auteur : Rav Tamir Granot


Traduit et adapté de l’hébreu


par Michel Benhayim



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