Dix Enseignements sur Roch HaChana, par Rav Jonathan Sacks, Grand Rabbin
- Michel Benhayim
- 25 juil.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 juil.

Comment la Fête de רֹאשׁ־הַשָּׁנָה Roch HaChana,
la date anniversaire de la Création de l'humanité,
peut-elle transformer nos vies ?
Le premier enseignement de Roch HaChana est que la vie est courte. Quelle que soit notre espérance de vie, nous ne pourrons jamais réaliser au cours d’une vie tout ce que nous aurions voulu faire. Le poème liturgique de Roch HaChana וּנְתַנֶּה תֹּקֶף Untanè Tokef évoque la mort avec un accent pathétique :
« L'homme a été créé avec la poussière et il retourne à la poussière. Il abandonne son Âme pour ramener du pain à la maison. Il est comme une poterie brisée, comme l'herbe desséchée, comme une fleur fanée, comme une ombre fugitive, comme un nuage qui passe, comme un léger souffle de vent, comme une poussière qui tourbillonne et comme un rêve qui s'éclipse. »
Cette vie est tout ce que nous avons. Comment allons-nous bien l'utiliser ? Nous savons que nous ne terminerons pas la tâche, mais nous ne sommes pas non plus libres de nous en dispenser. Telle est la première vérité.
La deuxième vérité est que la vie elle-même, chaque jour, chaque souffle que nous respirons, est un Don de HACHEM :
« Souviens-toi de nous pour la vie, ô ROI, Qui a Plaisir à donner la vie, et inscris-nous dans le Livre de la vie, en Ton NOM, ô DIEU de la vie. » (זִכְרוֹנוֹת Zikhronot)
La vie n’est pas quelque chose que nous pouvons tenir pour acquis. Si nous le faisions, nous ne pourrions pas Le glorifier. HACHEM nous accorde un Don qui est supérieur à tous les autres, dit Maïmonide : la vie elle-même, vis-à-vis de laquelle tout le reste est secondaire. D'autres religions ont cherché DIEU dans le ciel, ou dans l'au-delà, le passé lointain ou le futur lointain. Ici il y a la souffrance, là la récompense ; ici le chaos, là l'ordre ; ici la douleur, là le baume ; ici la pauvreté, là l'abondance. Le Judaïsme a toujours cherché HACHEM dans l’ici et le maintenant de la vie sur Terre. Oui, nous croyons en la vie après la mort, mais c'est dans la vie avant la mort que nous trouvons vraiment la Grandeur humaine.
Troisièmement, nous sommes libres. Le Judaïsme est la religion qui considère que l'être humain est libre et qu’il répond librement à HACHEM Qui est le DIEU de la liberté. Nous ne sommes pas condamnés à fauter. Nous ne sommes pas déterminés par des forces économiques, des pulsions psychologiques ou des impulsions génétiquement programmées auxquelles il ne nous serait pas possible de résister. Le fait même que nous puissions faire תְּשׁוּבָה Techouva, que nous puissions agir différemment demain par rapport à hier ou aujourd'hui, nous montre que nous sommes libres. Les philosophes ont trouvé que cette idée était difficile à admettre. Les scientifiques aussi. Mais le Judaïsme insiste sur ce point, et nos Ancêtres l'ont prouvé en défiant toutes les lois de l'histoire, en survivant contre toute attente et en refusant d'accepter la défaite.
Quatrièmement, la vie a un sens. Nous ne sommes pas de simples accidents de la matière, générés par un univers né sans raison et qui cessera un jour, également sans raison. Nous sommes ici parce qu'un DIEU aimant a mené l'univers, la vie, et nous-mêmes à l’existence, un DIEU Qui connaît nos peurs, entend nos prières, croit en nous plus que nous ne croyons en nous-mêmes, Qui nous pardonne lorsque nous échouons, nous relève lorsque nous tombons et nous donne la force de vaincre le désespoir.
Un historien a écrit un jour : “Aucun peuple n'a jamais insisté plus fermement que les Juifs sur le fait que l'histoire a un but et l'humanité un destin.” Il a conclu : “Les Juifs se tiennent au centre de la tentative éternelle de donner à la vie humaine la dignité d'un dessein” (Paul Johnson, Une histoire des Juifs, Prologue). C’est aussi l’une des vérités de Roch HaChana.
Cinquièmement, la vie n'est pas facile. Le Judaïsme ne voit pas le monde à travers des lentilles teintées de rose. Les souffrances de nos ancêtres hantent nos prières. Le monde dans lequel nous vivons n’est pas le monde tel qu’il devrait être. C’est pourquoi, malgré tous les appels et toutes les menaces, le Judaïsme n’a jamais pu dire que l’ère messianique était arrivée, même si nous l’attendons quotidiennement. Mais l’espoir ne nous fait pas défaut, parce que nous ne sommes pas seuls. Quand les Juifs s'exilaient, la שְׁכִינָה CHEKHINA, la PRÉSENCE DIVINE les accompagnait. HACHEM est toujours là, “Proche de tous ceux qui L'invoquent en vérité” (Psaume 145, 18). Il peut dissimuler Son Visage, mais Il est là. Il se tait peut-être, mais Il nous écoute, nous entend et nous guérit d'une manière que nous ne comprenons peut-être pas à ce moment-là mais qui rétrospectivement apparaîtra clairement.

Sixièmement, la vie est peut-être dure, mais elle peut aussi être douce, de même que la חַלָּה Ḥalla [le pain traditionnel de Chabbat] et la pomme sont douces lorsqu’à Roch HaChana nous les trempons dans du miel. Les Juifs n’ont jamais eu besoin de richesse pour être riches ou de pouvoir pour être forts. Être Juif, c'est vivre pour des choses simples : l'amour entre un mari et sa femme, le lien sacré entre parents et enfants, le cadeau de la communauté où nous aidons les autres et les autres nous aident, et où nous apprenons que la joie est redoublée et le chagrin réduit de moitié quand ils sont partagés. Être Juif, c'est aussi donner, que ce soit sous forme de צְדָקָה Tsedaka ou de גְּמִילוּת חֲסָדִים Guemilout Ḥassadim [des actes de bonté]. C'est étudier et ne jamais cesser de chercher, de prier et ne jamais cesser de remercier, de faire תְּשׁוּבָה Techouva et ne jamais cesser de grandir. C'est là que réside le secret de la joie.
Tout au long de l’histoire, il y eut des cultures hédonistes qui vénéraient le plaisir, et des cultures ascétiques qui le niaient, mais le Judaïsme a une approche totalement différente : il sanctifie le plaisir en l’intégrant à notre façon de servir HACHEM. La vie est douce lorsqu'elle est touchée par le DIVIN.
Septièmement, notre vie est la plus grande œuvre d’art que nous ayons jamais réalisée. Le Rabbin Joseph Soloveitchik, dans l’un de ses premiers ouvrages, évoquait celui qu’il appelait אִישׁ הַהֲלָכָה ‘la personnalité halakhique’ et son désir de créer, de faire quelque chose de nouveau, d'original. HACHEM aspire aussi à ce que nous créions et devenions ainsi Son partenaire dans l’œuvre de renouveau. « Le principe le plus fondamental de tous est que l'homme doit se créer lui-même. » C'est ce qu’est la Techouva, un acte qui consiste à se renouveler. À Roch Hachana, nous prenons du recul vis-à-vis de notre vie quotidienne, comme un artiste qui prend du recul par rapport à sa sa toile, pour voir ce qu’il faut changer afin que le tableau soit complet.
Huitièmement, nous sommes ce que nous sommes grâce à ceux qui nous ont précédés. Nos vies ne sont pas des particules déconnectées les unes des autres. Nous sommes chacun une Lettre dans le Livre de la Vie de HACHEM. Mais ces Lettres, bien qu’elles soient porteuses de sens, n’ont pas de sens lorsqu’elles sont isolées. Pour avoir un sens, elles doivent être reliées à d'autres Lettres pour créer des mots, des phrases, des paragraphes, une histoire ; et être Juif, c'est faire partie de l'histoire la plus étrange, la plus ancienne, la plus inattendue et la plus paradoxale qui ait jamais existé : l'histoire d'un petit Peuple, qui n'a jamais été grand et qui fut souvent sans abri, qui a néanmoins survécu aux plus grands empires que le monde ait jamais connus : les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Grecs et les Romains, les empires médiévaux du christianisme et de l’islam, jusqu’au Troisième Reich et à l’Union soviétique. Chacun s’est cru immortel. Chacun a disparu. Le Peuple juif vit toujours. C’est pourquoi à Roch Hachana, nous nous souvenons et nous demandons à HACHEM de se souvenir de ceux qui nous ont précédés : Avraham et Isaac, Sara, Ḥanna et Raḥel, les hébreux de l’époque de Moïse et les Juifs de chaque génération, dont chacun a laissé un héritage vivant dans les prières que nous prononçons ou dans les mélodies que nous chantons.
Et dans l'un des versets les plus émouvants de la prière centrale de מוּסָף Moussaf, nous rappelons les grandes Paroles que HACHEM a prononcées par l'intermédiaire du prophète Jérémie : “Je me souviens de toi, de l’affection de ta jeunesse, de ton amour au temps de tes fiançailles, quand tu Me suivais dans le désert, sur une terre inculte” (Jérémie 2, 2). Nos Ancêtres ont peut-être fauté, mais ils n’ont jamais cessé de suivre HACHEM, même si le chemin était difficile et la destination lointaine. On ne commence pas avec rien. Nous avons hérité de leurs richesses, non pas matérielles mais Spirituelles. Nous sommes les héritiers de la Grandeur de nos ‘Ancêtres’.
Neuvièmement, nous sommes aussi les héritiers d’une autre sorte de Grandeur, celle de la Tora elle-même et de ses exigences élevées, de ses idéaux ambitieux, de son grand nombre de Mitsvot, de ses défis intellectuels et existentiels. Le Judaïsme nous demande de grandes choses et ainsi il nous grandit sur le plan Spirituel. Nous sommes aussi grands que les idéaux pour lesquels nous vivons, et ceux de la Tora sont effectivement très élevés. Nous sommes, dit Moïse, les Enfants de HACHEM (Deutéronome 14, 1). Nous sommes appelés, dit Isaïe, à être Ses Témoins, Ses Ambassadeurs sur Terre (Esther 43, 10). À maintes reprises, les Juifs ont accompli des choses que l’on croyait impossibles. Ils ont lutté contre la puissance au nom du droit. Ils se sont battus contre l'esclavage. Ils ont montré qu'il était possible d'être une nation sans terre, d'avoir une influence sans pouvoir, d'être qualifiés de parias du monde sans pour autant perdre le respect d'eux-mêmes. Ils ont cru avec une conviction inébranlable qu’un jour ils retourneraient dans leur Pays, et même si l’espoir semblait absurde, cela s’est produit. Leur Royaume était peut-être limité à une coquille de noix, mais les Juifs se considéraient comme des rois d’un espace infini. Le Judaïsme place la barre très haut, et même si nous ne parvenons pas toujours à l’atteindre, Roch Hachana et Yom Kippour nous permettent de repartir à zéro, après avoir été pardonnés, purifiés, inébranlables, prêts à relever le prochain défi, à passer à l'année prochaine.
Et enfin vient le son du Chofar, qui perce nos défenses, un cri sans aucun mot dans une religion de mots, un son produit par le souffle comme pour nous dire que toute la vie est un simple souffle, mais ce souffle n'est rien moins que l’Esprit de HACHEM en nous : « HACHEM ELOKIM forma l'homme de la poussière du sol et Il insuffla dans ses narines le Souffle de la vie, et l'homme devint un être vivant » (Genèse 2, 7). Nous sommes poussière de la terre, mais le Souffle de HACHEM est en nous. Et que le Chofar soit notre cri vers HACHEM ou le Cri de HACHEM vers nous, d'une certaine manière, dans תְּקִיעָה, שְׁבָרִים, תְּרוּעָה, c’est-à-dire l'appel, le sanglot, la plainte, où se trouve tout le pathos de la rencontre entre HACHEM et l'homme, alors qu'Il nous demande d’accepter ce qu’Il nous donne, la vie elle-même, et d'en faire quelque chose qui soit Saint, en agissant de manière à honorer HACHEM et Son Image sur Terre, l'humanité.
Car nous vaincrons la mort, non pas en vivant éternellement mais en vivant selon des valeurs qui, elles, vivent éternellement ; en accomplissant des actes et en créant des bénédictions qui nous survivront ; et en nous attachant constamment à HACHEM Qui vit au-delà du temps qu'Il a Lui-même créé, מֶֽלֶךְ חַי וְקַיָּים « le ROI, Vivant et Éternel ».
Le verbe hébreu לְהִתְפַּלֵּל ‘prier,’ signifie plus précisément ‘se juger soi-même.’ Le jour de Roch HaChana, nous sommes jugés. Nous savons ce que c'est que d'être connu. Et bien que nous connaissions le pire qui est en nous-mêmes, HACHEM voit le meilleur ; et lorsque nous nous ouvrons à Lui, Il nous donne la force de devenir ce que nous sommes vraiment. Ceux qui s’imprègnent pleinement de l'esprit de Roch Hachana entrent dans la nouvelle année remplis d’une nouvelle énergie, concentrés, renouvelés, sachant qu'être Juif c'est vivre sa vie en Sa PRÉSENCE, sanctifier sa vie en Son NOM, et rendre meilleure la vie des autres, car là où nous apportons des bénédictions à la vie des autres, là HACHEM vit.
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Rav Jonathan Sacks |
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