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L'aventure juive

  • Photo du rédacteur: Michel Benhayim
    Michel Benhayim
  • 19 août
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 août

L'Aventure Juive

Pourquoi Jacob est-il le Père de notre Peuple, le héros de notre Foi ? Nous sommes appelés כְּנֶסֶת יַעֲקֹב “la Communauté de Jacob”, בְּנֵי יִשְׂרָאֵל “les Enfants d’Israël”. Mais ce fut Avraham qui commença l’Aventure juive, Isaac qui était prêt à être sacrifié, Joseph qui sauva sa famille dans les années de famine, Moïse qui mena le Peuple hors d’Égypte et lui donna ses lois.


Ce fut Josué qui conduisit le Peuple en Terre Promise, et David qui devint le grand roi, Salomon qui construisit le Temple, et les prophètes à travers les époques qui devinrent la voix de HACHEM.


Le récit de Jacob dans la Tora semble ne pas être à la hauteur de ces autres vies, du moins dans une lecture littérale du Texte. Il a des relations tendues avec son frère Esaü, ses femmes Rachel et Léa, son beau-père Laban, et avec ses trois fils aînés, Reouven, Chim'one et Levi. Il y a des moments où il semble craintif, d’autres où il agit - ou semble agir - avec une honnêteté qui interroge. En réponse à Pharaon, il se dit à lui-même, “Court et malheureux fut le temps des années de ma vie” (Genèse 47, 9). On pourrait en attendre plus de la part d’un héros de la Foi.


C’est pour cela qu’une grande partie de l’image que l’on a de Jacob est filtrée par la vision du Midrach, la tradition orale préservée par les Sages. Selon cette tradition, Jacob est entièrement bon, Esaü entièrement mauvais. Cela aurait dû être ainsi, comme Rabbi Tsvi Hirsch ‘Hayes l’affirme dans son essai sur la nature de l’interprétation midrachique; car sinon, il serait difficile de déduire du texte biblique un sentiment clair de ce qui est juste et injuste, bien et mal. 


La Tora est un livre exceptionnellement subtil, et les livres subtils ont tendance à être mal compris. La tradition orale a rendu les choses plus simples : noir et blanc, au lieu de nuances de gris. 


Mais peut-être, même sans le Midrach, nous pouvons trouver une réponse, et la meilleure manière de s’y prendre est de réfléchir à l’idée d’aventure. Le Judaïsme considère la Foi comme une Aventure. Celle-ci commence avec le périple d’Avraham et de Sara, quittant leur “pays, leur lieu de naissance et la maison de leur père” et voyageant vers une destination inconnue, “la Terre que Je te montrerai.”


Le Peuple juif est défini par une autre Aventure à une époque différente : le périple de Moïse et des Hébreux, de la sortie d'Égypte à la Terre Promise après la traversée du désert. Ce périple devient presque un leitmotiv dans la Paracha מַסְּעֵי : “Ils quittèrent l'endroit X... et ils campèrent à l'endroit Y... Ils quittèrent l'endroit Y... et campèrent à l'endroit Z...”


Être juif signifie bouger, voyager, et rarement, sinon jamais, s’installer. Moïse mit le Peuple en garde vis-à-vis du danger qui consiste à s’installer, à considérer le statu quo pour acquis :


“Lorsque tu auras engendré des enfants, que vous aurez vieilli dans le Pays et si vous vous corrompez...” (Deutéronome 4, 25).


D’où les règles à propos desquelles Israël doit toujours se souvenir de son passé, ne jamais oublier les années d’esclavage en Égypte, ni oublier que nos Ancêtres ont autrefois habité dans des maisons temporaires, ni oublier qu’Israël ne possède pas la Terre - elle appartient à HACHEM - et que nous ne sommes là qu'en tant que כִּי-גֵרִים וְתוֹשָׁבִים אַתֶּם עִמָּדִי, “étrangers domiciliés chez MOI” (Lévitique 25, 23).


Pourquoi ? Car être Juif signifie ne jamais être tout à fait chez soi dans le monde. Être Juif signifie vivre dans la tension entre le Ciel et la terre, la Création et la Révélation, le monde qui est et le monde que nous sommes appelés à créer ; entre l’exil et la maison, entre l’universalité de la condition humaine et la particularité de l’identité juive. Les Juifs ne se tiennent immobiles que lorsqu’ils se tiennent devant HACHEM.


Des galaxies jusqu’aux particules subatomiques, l’univers est en mouvement constant, et il en est de même pour l’Âme juive.


Nous avons l'intime conviction que nous sommes une combinaison instable de la poussière de la terre et du Souffle de HACHEM; cela nous amène à prendre constamment des décisions et à faire des choix qui nous permettront de grandir afin d’atteindre nos valeurs, ou dans le cas contraire, si nous choisissons le mal, de nous avilir en devenant de petites créatures débridées et obsédées par des futilités. La vie en tant qu’aventure signifie qu'il faut chaque jour aspirer à être plus grand que ce que nous étions le jour précédent, individuellement et collectivement.


Si le concept de périple est une métaphore centrale de la vie juive, quelle est la différence à cet égard entre Avraham, Isaac et Jacob ?


La vie d’Avraham est encadrée par deux périples qui emploient l'un et l'autre la même expression לֶךְ-לְךָ, “va pour toi” (Genèse 12, 1), lorsqu’il lui est demandé de quitter sa terre et la maison de son père, et l’autre à propos de la ligature d’Isaac, lorsqu’il lui est dit “ "Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac; et לֶךְ-לְךָ "va pour toi" vers la Terre de Moriya" (Genèse 22, 2).


Ce qui est particulièrement émouvant dans l’histoire d’Abraham est qu’il va où il lui est dit de se rendre, immédiatement, sans poser de questions, malgré le fait que les deux périples sont tous deux poignants en termes humains. Dans le premier, il doit quitter son père. Dans le deuxième, il doit sacrifier son fils. Il doit dire au revoir au passé et risquer de dire adieu à l’avenir. Avraham représente la Foi pure. Il aime HACHEM et il Lui fait entièrement confiance. Tout le monde n’est pas en mesure d’atteindre ce niveau de Foi, presque surhumain.


Isaac se situe à l’opposé. C’est un peu comme si Avraham, connaissant les sacrifices émotionnels qu’il doit faire et le traumatisme qu’Isaac a ressenti lors de sa ligature, cherche à protéger son fils tant que c’est en son pouvoir. Il s’assure qu’Isaac ne quitte pas la Terre Promise (Genèse 24, 6) et c’est pour cette raison qu'il ne le laisse pas voyager pour trouver une épouse. L’unique aventure d’Isaac, vers la terre des Philistins (Genèse 26) est limitée et locale. La vie d’Isaac est un bref répit de l’existence nomade qu’Avraham et Jacob ont tous deux vécu. 


Jacob est encore différent. Ce qui le rend unique, ce sont ses rencontres les plus intenses avec HACHEM – les plus dramatiques de tout le livre de la Genèse – en pleine aventure, seul, durant la nuit, loin de chez lui, échappant aux dangers, les uns après les autres, d’Esaü à Laban à l’aller, de Laban à Esaü au retour.


Au milieu du premier périple, il y a la Manifestation Divine de l’Échelle qui s’étend de la terre jusqu’au Ciel, avec des Anges qui montent et qui descendent, ce qui lui fait dire : “Certainement, HACHEM est Présent en ce lieu et moi je l'ignorais...” Ceci n'est autre que la Maison de ELOKIM et c'est ici la Porte du Ciel.” (Genèse 28, 16-17). Aucun des autres Patriarches, ni même Moïse, n’ont eu une telle vision.


Au cours du second périple, Jacob mène le combat énigmatique et troublant avec l’homme/l’ange/HACHEM, qui le laisse boiteux mais transformé de manière permanente. Il est le seul personnage dans la Tora à recevoir de HACHEM un nouveau nom, Israël, qui signifie, “celui qui a combattu avec HACHEM et avec l’homme” ou “celui qui est devenu un שַׂר 'prince' devant HACHEM”.


Ce qui est fascinant, c’est que les rencontres de Jacob avec les Anges sont décrites par le même verbe 'פגש', (Genèse 28, 11 et 32, 2), qui signifie “une rencontre hasardeuse, comme si Jacob avait été pris de court, ce qui est clairement le cas. Les moments dont le contenu sont les plus Spirituels dans la vie de Jacob sont ceux qu’il n’a pas prévus. Il pensait à autre chose, sur ce qu’il laissait derrière lui et ce qui l’attendait. Il était d’une certaine manière, “surpris par HACHEM”.


C'est avec Jacob que nous pouvons nous identifier. Tout le monde ne peut pas aspirer à la Foi entière et totale d’Abraham, ou à la solitude d’Isaac. Mais Jacob, nous le comprenons. Nous pouvons ressentir sa peur, comprendre sa douleur vis-à-vis des tensions familiales, et éprouver une certaine empathie pour son aspiration profonde à une vie de quiétude et de paix.


L’idée que l'on peut retenir n’est pas uniquement que Jacob est le Patriarche le plus humain, mais plutôt qu’au-milieu des plus grandes profondeurs de son désespoir, il s'est élevé aux Degrés les plus élevés de la Spiritualité. Il est l’homme qui rencontre des Anges. Il est le personnage qui se fait le plus surprendre par HACHEM. Il est celui qui, aux moments où il se sent le plus esseulé, découvre qu’il n’est pas seul, que HACHEM est avec lui et qu’il est entouré par des Anges.


Le message de Jacob définit l’existence juive. Notre destin est de voyager. Nous sommes un Peuple vagabond. Nos moments de paix ont été rares et brefs. Mais dans la nuit noire, nous nous sommes retrouvés élevés par la force d'une Foi dont nous ignorions l’existence, entourés d’Anges dont nous ignorions la présence. Si nous marchons dans les Voies de Jacob, nous pourrions nous aussi être surpris par HACHEM

 

Jonathan Sacks

Rav Jonathan Sacks


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