L'ENFER DES OTAGES À GAZA
- Michel Benhayim
- 26 mai
- 5 min de lecture

Capturé le 7 Octobre dans le village de Beeri, dans le sud d’Israël, Tal Shoham, l'un des otages à Gaza, a été pendant 505 jours prisonnier du groupe islamiste Hamas. Il évoque ses traumatismes, les conditions extrêmement difficiles de détention et ses craintes pour ceux qu’il a laissés là-bas.
Traîné dans les rues de Gaza, insulté par la foule et menacé de lynchage, puis retenu comme otage et oublié dans un tunnel sans air, ni lumière, Tal Shoham, l'un des nombreux otages à Gaza, a survécu 505 jours dans les geôles du Hamas. Le 7 octobre 2023, des terroristes islamistes ont capturé cet Israélien de 40 ans dans le village de Be'eri, au sud d'Israël, sous les yeux de sa femme et de ses enfants, aujourd’hui âgés de 9 et 5 ans. Ses bourreaux ont fini par le relâcher en février 2025.
On m’a d’abord fait descendre dans une ville de la bande de Gaza. On m’a mis de force à l’arrière d’un deux-roues et, pendant une demi-heures, on m’a exhibé dans les rues. Les terroristes criaient « porc de soldat juif ». La foule m’insultait, me crachait dessus, on essayait de me frapper. Heureusement, le conducteur continuait d’avancer, sans quoi j’aurais sans doute été lynché et battu à mort. Finalement, on m’a emmené dans une maison qui, je l’ai compris plus tard, appartenait à un haut gradé du Hamas.
Je ne savais pas quel était le sort de ma famille. Je questionnais ceux qui étaient chargés de me garder, mais personne ne me répondait. Parfois, ils riaient en me disant que je ne reverrais pas mon beau-père de sitôt, puis ils passaient leur pouce sur leur cou pour me faire comprendre qu’ils l’avaient égorgé — il a été exécuté le 7 octobre. Je pensais tout le temps à ma femme, à mes enfants, et j’imaginais le pire. Ce fut la période la plus atroce de ma captivité. Au bout de quelques semaines, j’ai reçu une lettre de ma femme. Elle me disait qu’elle avait été capturée avec sa mère, sa tante et nos enfants, mais qu’elles allaient bien et qu’elles étaient sur le point d’être libérés. Elles ont été relâchées en novembre 2023.
Au début, les gardes me demandaient parfois de leur traduire la radio israélienne en arabe. C‘est comme cela que j’ai découvert l’étendue des horreurs de ce qui s'était passé le 7 Octobre 2023. Les terroristes, quant à eux, étaient euphoriques. Ils répétaient sans cesse que c‘était magnifique.
Chaque fois que les terroristes pensaient avoir été repérés par les services israéliens, j'étais déplacé, comme d'autres otages à Gaza, dans différentes cachettes, des appartements ou des maisons . Les transferts avaient lieu tôt le matin, en plein couvre-feu, pendant que les gens restaient chez eux. D’autres fois, on m’habillait intégralement en femme voilée pour se mêler à la foule sans se faire reconnaître. Puis, en juin 2024, on m’a dit qu’on allait me transférer dans la maison d’un médecin dans le nord de la bande de Gaza. On m’a promis qu’il y aurait de l’électricité, de l’eau potable, de la nourriture. Je voulais y croire.
C‘est à ce moment que l'on m'a emmené dans un des tunnels de la bande de Gaza. On était deux otages à être transférés. On a marché dans la rue en plein jour, au milieu de la population, déguisés en palestiniens. Une ambulance du Croissant Rouge est arrivée, remplie de terroristes armés. On nous a fait monter dans cette ambulance, puis on nous a bandé les yeux avec des masques anti-Covid. J’ai senti que l'on nous faisait descendre. On nous a ensuite fait marcher très longtemps, plusieurs heures, sans rien voir. Puis, j’ai entendu des gens gémir, et un garde leur a dit : « On vous apporte de la compagnie. » Là, j’ai compris que j’allais rester dans ce tunnel pendant très longtemps.
Je suis resté dans cette cellule avec trois autres otages. C'était un petit couloir de 1 mètre de large,1,80 mètre de hauteur et d’une douzaine de mètres de long ; il était fermé par une grosse porte de fer. Nous nous trouvions à 20 ou 30 mètres de profondeur. Il y avait quatre matelas par terre, un grand trou dans le sol pour faire nos besoins. Aucune lumière naturelle ne pénétrait. La lumière artificielle restait allumée 24 heures sur 24, sauf lorsqu’ils coupaient l’électricité. Là, c‘était le noir le plus complet : je ne pouvais même pas distinguer ma main devant mon visage. Cela pouvait durer plus de 12 heures, pendant lesquelles il fallait tâter les murs pour se déplacer. Parfois, les gardes nous disaient qu’il fallait économiser de l’électricité. D’autres fois, je pense que c‘était uniquement par sadisme.
À l'intérieur, on manquait d’oxygène. L’air circulait très peu. Un voile noir passait devant mes yeux chaque fois que je me levais. J’avais besoin de m’accrocher aux murs cinq à vingt secondes pour ne pas perdre connaissance. La cellule était extrêmement humide. Nos vêtements et nos matelas étaient mouillés et sales. En général, nous pouvions prendre une douche et nous changer toutes les trois semaines environ. Le reste du temps, nous n’avions rien pour nous laver.
On essayait de garder la notion du temps mais c‘était compliqué. Nos geôliers nous donnaient de fausses heures et de fausses dates pour nous égarer. Ils essayaient de nous briser mentalement. Ils hurlaient contre nous et parfois ils nous crachaient dessus parfois. Il leur arrivait de nous interdire de dormir et ils vérifiaient, à travers une caméra, que l'on obéissait aux ordres, sans quoi ils nous apportaient encore moins de nourriture le lendemain…
Nous avions très peu à manger. Parfois, un bout de pita, ou bien du riz, jamais de légumes ni de viande. La faim faisait provoquait des douleurs indescriptibles dans l’estomac, c‘était terrible. Avant de nous libérer, un geôlier a fini par nous dire qu’il nous avait affamés exprès. Pour choquer l’opinion israélienne et rajouter de la pression sur le gouvernement pour qu'il accepte un accord avec le Hamas.
Plusieurs maladies sont apparues. Du pus jaune a commencé à sortir de mes oreilles. Un jour, un gros hématome est apparu sur ma jambe. Il a viré au jaune, puis au violet. La douleur a commencé à devenir insupportable, au point de m’empêcher de me déplacer. J’ai aussi développé un scorbut, une maladie due à la malnutrition qui n’existe quasiment plus dans nos pays depuis des siècles. C‘est la seule fois où un médecin est venu me voir.
Je me suis souvent demandé plusieurs fois si j’allais me réveiller le lendemain. Je craignais que les terroristes fassent exploser notre tunnel, comme ils menaçaient de le faire, si l’armée israélienne s'approchait. Je ne voulais pas mourir. Ma vie antérieure me manquait. Mais les conditions étaient si horribles… J’ai trouvé la paix dans l’idée de mourir. C‘était devenu une façon de mettre fin à toute l’horreur que je subissais. Mais je ne pensais pas au suicide.
Dans la première maison où l’on m’a caché après le 7 Octobre, je me suis promis que je ferais tout pour rester en vie, digne et humain. Les otages qui étaient avec moi se demandaient parfois pourquoi il fallait continuer à se battre. Je les ai toujours encouragés à garder espoir. Le jour où nous avons été séparés, ils m’ont dit qu’ils n’auraient peut-être plus la force. Ils affrontent une terrible dépression. J’ai peur pour leur vie.
J’espère qu’ils vont bientôt sortir.
Robin Korda – Le Parisien
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